La radiofréquence: un complément utile à la chirurgie hépatique au CHIREC

La résection chirurgicale reste toujours le traitement de référence des tumeurs hépatiques primaires (cancer hépatocellulaire) ou secondaires (métastases) résécables. Malheureusement, beaucoup de tumeurs ne sont pas résécables à cause de leur localisation, leur nombre, ou l’état général du patient.

C’est pour ces patients que, depuis une vingtaine d’années, plusieurs technologies ont été développées afin d’obtenir une destruction locale des tumeurs, appelée ‘ablation’, tels que l’injection d’alcool, la cryoablation, la radiofréquence, le laser, les micro-ondes ou l’électroporation. La radiofréquence a vite rendu obsolète l’injection d’alcool absolu et la cryoablation, et est actuellement plus utilisée que le laser et les micro-ondes qui ont les mêmes résultats mais qui restent plus chers ou plus complexes. L’électroporation est également plus chère et plus complexe, mais elle est intéressante pour un sous-groupe de tumeurs qui sont proches des vaisseaux hépatiques ou des voies biliaires.

Le service de chirurgie du Chirec s’est très tôt intéressé à la radiofréquence, assumant un rôle pionnier de cette technique en Belgique.1-2 En effet, le Chirec est un des rares hôpitaux à disposer sur place d’une radiofréquence, ce qui permet de réagir et de traiter des lésions hépatiques découvertes fortuitement lors d’une opération ou qui auraient échappé à l’imagerie préopératoire. De nombreux patients ont pu ainsi bénéficier de ce traitement à visée curative alors qu’ils n’étaient plus candidats à une résection chirurgicale.

Technique
La radiofréquence consiste à introduire une électrode fine dans une tumeur du foie sous contrôle scanographique ou échographique. Cela peut se faire dans le service de radiologie par un accès percutané ou en salle d’opération par un abord laparoscopique ou chirurgical classique. Une sédation, voire une anesthésie générale, seront utilisées en fonction de la voie d’abord et de la difficulté. Une générateur à haute fréquence délivre un courant alternatif à la pointe de l’électrode, ce qui induit une friction entre particules et un échauffement tissulaire.  Une dénaturation cellulaire irréversible se produit lorsque celui-ci atteint 60°. Afin de réduire le risque de récidive locale il est important d’avoir une marge de destruction en tissu sain de 10 mm.

Indications
Carcinome hépatocellulaire
§  Carcinome hépatocellulaire < 2 cm. La radiofréquence comme seul traitement s’est montrée supérieure à l’injection  intratumorale d’alcool absolu.  Dans des études la comparant à la résection chirurgicale, elle s’est montrée équivalente en termes de contrôle local et de survie mais moins morbide que la chirurgie. 3-4
§  Temporisation en attente d’une greffe hépatique chez les patients candidats à une transplantation.
§  En combinaison avec la chimioembolisation intra-artérielle hépatique chez des patients présentant un carcinome hépatocellulaire inopérable et une bonne fonction hépatique

Métastases hépatiques
§  En complément d’une résection hépatique pour des métastases colorectales d’accès malaisé, bilobaires ou multiples dont la résection entraînerait un risque opératoire prohibitif ou sacrifierait trop de volume hépatique.
§  Métastases hépatiques colorectales résécables < 3 cm par voie chirurgicale ouverte.
§  Une résection hépatique reste a priori préférable à une ablation car elle donne un taux de récidive locale plus faible. La rodiofréquence est néanmoins acceptable pour des métastases < 3 cm à condition qu’elle soit réalisée par voie chirurgicale ouverte par une équipe expérimentée avec un taux de contrôle local (97%) équivalent aux taux de contrôle local par résection.
§  Métastases hépatiques colorectales irrésécables ou métastases chez des patients inopérables. Une étude randomisée a démontré que dans ce groupe de patients la survie après la combinaison d’un traitement par radiofréquence et par chimiothérapie est prolongée de 5 mois par rapport à une chimiothérapie seule. 6
§  Métastases hépatiques non colorectales sélectionnés (cancer du sein, tumeurs neuro-endocrines, …) < 3 cm par voie chirurgicale ouverte.

Résection hépatique
§ La coagulation de la future tranche de section par radiofréquence est une technique utile pour diminuer le saignement pendant une résection hépatique.

Contre-indications
§  Tumeurs hépatiques > 3 cm. Pour ces patients, le risque de destruction incomplète et de récidive locale est trop important, la résection restant supérieure à la radiofréquence en termes de contrôle local et de survie globale. De plus, une destruction incomplète rend les cellules tumorales résiduelles plus agressives et peut aggraver le pronostic. 5
Pour les tumeurs > 3 cm la chirurgie reste donc le ‘gold standard’. 8
§  Maladie extrahépatique non contrôlable.
§  Cirrhose Child C ou décompensée.

Limitations
§  Les résultats après radiofréquence par voie chirurgicale ouverte sont nettement supérieurs que par voie percutanée ou laparoscopique.7  Ces dernières sont donc réservées uniquement aux patients trop fragiles pour subir une laparotomie.
§  Proximité de gros vaisseaux hépatiques. Le refroidissement induit par le flux sanguin à 37° rend la destruction tumorale aléatoire au contact d’une grosse structure vasculaire. Un clampage vasculaire par abord chirurgical permet de contourner ce handicap.
§  Proximité de la convergence biliaire. La radiofréquence risque d’induire des lésions thermiques aux voies biliaires situées à moins de 1 cm. Dans ces cas, une électroporation irréversible est très utile car elle épargne les voies biliaires.

Complications
Le taux de complications est limité (8.9%) et inférieur au taux de complications après résection même dans les meilleurs centres (30%). 2
§  L’hémorragie hépatique est rare avec la radiofréquence et moins fréquente qu’avec la cryoablation qui crée une boule de glace pouvant se fissurer en dégelant.
§  Les abcès hépatiques sont inhabituels en dehors d’une infection ou stase biliaire intrahépatique préexistante.
§  Les brûlures d’organes voisins. Celles-ci (côlon, grêle, diaphragme, rein…) sont régulièrement décrites après radiofréquence de tumeurs sous-capsulaires, surtout par voie percutanée, par des auteurs qui n’avaient pas pris de précautions pour les éloigner. L’éloignement par contre est facile par voie chirurgicale.
§  L’essaimage tumoral sur le trajet de l’électrode est décrit par voie percutanée si on ne prend pas la précaution de brûler le trajet de l’aiguille lors de son retrait.
§  Un pneumothorax peut survenir lors de l’abord percutané par voie intercostale de tumeurs du dôme hépatique.

Suivi
Un CT scan ou une résonance magnétique est effectuée après 1 semaine et ensuite tous les 3 mois pendant 5 ans afin de vérifier l’absence d’images de contraste, témoins de la nécrose induite par la radiofréquence.

Résultats
Pour le carcinome hépatocellulaire le taux de récidive locale à 1, 3 et 5 ans est de 0 – 9,7%, 0,5 – 21,4% et 0,5 – 27% respectivement.  Les récidives sont moins fréquentes qu’après alcoolisation mais plus fréquentes qu’après résection chirurgicale sauf pour des lésions de moins de 2 cm. Pour les métastases colorectales, le taux de récidive locale varie de 2,3% – 48%. Tant pour les tumeurs primitives que secondaires, le taux de récidive est accru lorsque la lésion est supérieure à 3 cm et lorsque l’abord est percutané. 9

Coût
Le prix d’une électrode classique est de 875 euros dont 25% est à charge du patient. La sonde peut servir à l’ablation de une ou de plusieurs tumeurs durant la même séance.

Conclusion
Si la résection et la transplantation hépatique restent les pierres angulaires du traitement à visée curative des tumeurs hépatiques primitives et secondaires, les techniques ablatives et la radiofréquence en particulier permettent d’en réduire la morbidité. De plus, la radiofréquence peut parfois offrir un espoir de guérison à des patients qui, par l’étendue de leur maladie hépatique ou leurs comorbidités, ne seraient pas candidats à un traitement curatif.

Références:
1) Miao, Ni, Mulier, et al. Ex vivo experiment on radiofrequency liver ablation with saline infusion through a screw tip cannulated electrode. J Surg Res 1997;71:19-24.
2) Mulier et al. Complications of radiofrequency coagulation of liver tumours. Br J Surg 2002; 89:1206-22.
3) Chen et al. A prospective randomized trial comparing percutaneous local ablative therapy and partial hepatectomy for small hepatocellular carcinoma. Ann Surg 2006;243:321-328.
4) Feng et al. A randomized control trial of radiofrequency ablation and surgical resection in the treatment of small hepatocellular carcinoma. J Hepatol 2012;57:794-802.
5) Mulier et al. Radiofrequency ablation versus resection for resectable colorectal liver metastases: time for a randomized trial? An update. Dig Surg. 2008;25:445-460.
6) Ruers et al. Radiofrequency ablation combined with systemic treatment versus systemic treatment alone in patients with non-resectable colorectal liver metastases: a randomized EORTC Intergroup phase II study (EORTC 40004). Ann Oncol 2012;23:2619-2626.
7) Mulier et al. Local recurrence after hepatic radiofrequency coagulation: multivariate meta-analysis and review of contributing factors. Ann Surg 2005;242: 158-171.
8) Wong et al. American Society of Clinical Oncology 2009 clinical evidence review on radiofrequency ablation of hepatic metastases from colorectal cancer. J Clin Oncol 2010;28:493.
9) Ziemlewicz et al. Hepatic tumor ablation. Surg Clin N Am 2016;96:315-339.

Dr Serge Landen, chirurgie digestive, Clinique du Parc Léopold
Dr Stefaan Mulier, chirurgie digestive, Clinique Edith Cavell