Suicide d’un pilote d’avion: réflexion et questionnement d’un psychiatre

Quand survient le drame et que nous sommes brutalement plongés dans l’indicible horreur, nous aimerions comprendre, pouvoir mettre des mots sur l’inexplicable qui, une fois de plus nous confronte à l’implacable roue du destin.

Que peut-il arriver qui fait qu’un homme semble prendre une série de décisions qui conduisent à sa mort et à celle de dizaines d’autres ? Qu’est-ce qui peut pousser non seulement au suicide, mais à un acte qui entraîne des dizaines d’inconnus avec soi dans ce sombre chemin?

D’abord ne pas oublier que l’enquête est en cours, et que tant qu’elle n’est pas clôturée, tout ce que nous dirons et écrirons ne pourra être que spéculations.[1]  Il faut toujours rester modeste face à l’incompréhensible. Ensuite savoir que même lorsque l’enquête sera terminée toutes les questions ne seront vraisemblablement pas résolues. Soit un mobile « criminel  » pourra partiellement expliquer le drame, soit des éléments complémentaires permettront d’apporter des éclaircissements sur la personnalité du sujet. Mais le fait même qu’il soit mort laissera à jamais une série de questions insolubles.

Quels sont les catégories psychiatriques qui permettraient de nous orienter dans la compréhension de cet événement ?

Le suicide est évidemment et malheureusement un événement fréquent, mais il ne concerne le plus souvent que le sujet. Des dommages collatéraux peuvent parfois se voir (accident de voiture, explosion lors d’un suicide au gaz,…) mais restent plutôt rares. L’objet de la haine du sujet et de sa volonté de destruction est lui-même. Le lieu du suicide (par exemple le lieu de travail ou la chambre conjugale) peut cependant être indicateur d’une rage vers quelque chose ou quelqu’un d’extérieur au sujet.

Un type de suicide impliquant autrui est le suicide altruiste. Il consiste en un suicide accompagné du meurtre d’êtres chers, non par colère envers eux, mais pour leurs éviter des choses que la personne juge insupportables. Il s’agit le plus souvent de convictions délirantes.
Un autre type de suicide est le suicide par revanche. Pour se venger de quelqu’un, on se tue et on tue des êtres qui nous sont chers. L’infanticide de Médée en est un exemple célèbre de la littérature. La rage est dans ce cas-ci partiellement retournée contre soi mais également largement orientée vers l’extérieur.

Il est possible, mais cela demanderait confirmation, qu’une série de meurtres de masse suivis de suicide puissent rentrer dans cette catégorie, l’objet de la revanche devenant le lycée, ou bien la rue dans laquelle on a vécu.
La colère et la rage, en plus du désespoir, semble donc devoir être convoquées pour participer à la compréhension des actes autodestructeurs.

Nous risquons, autour de ce drame, de parler beaucoup de psychiatrie et de maladies mentales. Il va être important, pour ne pas perdre la mesure des choses, de ne pas oublier que la plupart des patients qui souffrent de troubles psychologiques ne sont en aucun cas dangereux et ont eux-mêmes soufferts de circonstances de vie parfois fort difficiles. Évitons donc de les désigner et de les stigmatiser dans une vaine tentative d’exorcisme de cette souffrance qui aujourd’hui nous accable.