L’électrochimiothérapie: une nouvelle technique dans le traitement des métastases cutanées

L’électrochimiothérapie a été réalisée en Belgique pour la première fois en mai 2012 au CHIREC (Clinique du Parc Léopold). Il est toujours un des seuls hôpitaux en Belgique à offrir cette technique.

 Métastase cutanées
Les cancers cutanés comme le mélanome, mais également des cancers non cutanés comme le cancer du sein, peuvent donner des métastases cutanées (récidive locorégionale). Leur traitement n’est pas facile et consiste a priori en une combinaison de chirurgie, de radiothérapie (rayons) et de chimiothérapie. Malheureusement au cours de la maladie on arrive régulièrement à un stade où les possibilités de traitements classiques sont dépassées: par exemple quand la chirurgie n’est plus possible, quand une dose maximale de radiothérapie a déjà été donnée ou quand la tumeur ne répond plus à la chimiothérapie. Des métastases cutanées non contrôlées affectent rarement l’espérance de vie mais peuvent considérablement diminuer la qualité de vie. Elles rappellent au patient de façon continue et très visible son cancer et elles peuvent être douloureuses ou provoquer des ulcères ou des saignements. C’est en cas d’épuisement des traitements classiques que l’électrochimiothérapie peut apporter une nouvelle opportunité de traitement.

Qu’est-ce que l’électrochimiothérapie?
L’électrochimiothérapie est l’administration combinée de pulses électriques et de chimiothérapie. On utilise une électrode qui ressemble à une petite cage d’aiguilles et qui fait 2 x 2 cm (fig 1). Le chirurgien introduit cette électrode dans un nodule tumoral et il applique un train de pulses de courant électrique de très haut voltage (1000 Volt/cm) pendant 1 milliseconde.

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fig 1: A. L’électrode de 2 x 2 cm ressemble à une petite cage d’aiguilles. B. Le chirurgien introduit l’électrode dans un nodule tumoral. C. Un train de pulses de courant électrique de très haut voltage (1000 Volt/cm) est appliqué pendant 1 milliseconde. D. Ce courant court entre les aiguilles de l’électrode à travers le tissu compris dans la cage.

Ces pulses électriques vigoureux vont provoquer une électroporation, c’est-à-dire l’apparition de pores (trous) dans la membrane cellulaire (fig 2). Via ces pores, de grandes molécules de chimiothérapie comme la Bléomycine ou la Cisplatine vont pouvoir entrer dans la cellule beaucoup plus facilement que dans une situation physiologique normale.  Ainsi, la concentration de Bléomycine dans la cellule tumorale sera 10000 fois plus haute que sans électroporation, et la concentration de Cisplatine dans la cellule 80 fois plus haute.

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fig 2: La membrane cellulaire est rendue poreuse suite aux pulses électriques. Grâce à ce phénomène de grandes molécules de chimiothérapie comme la Bléomycine ou la Cisplatine entrent dans la cellule beaucoup plus facilement avec une concentration intracellulaire beaucoup plus élevée.

Comment cela se passe en pratique?
Le patient est endormi et la zone à traiter est marquée et désinfectée. L’anesthésiste donne une dose de Bléomycine par voie intraveineuse et on attend 10 minutes pour que la Bléomycine soit distribuée de façon homogène dans les tissus. Le chirurgien enfonce l’électrode dans les tissus et applique les pulses électriques pendant 1 milliseconde. Puis il change de place et il refait la même chose pour bien couvrir toute la zone à traiter. Si la zone à traiter est très petite, on peut réaliser la procédure sous anesthésie locale.

Quelles sont les indications d’une électrochimiothérapie?
On peut l’envisager pour des tumeurs métastatiques ‘dépassées’, c’est-à-dire en dernier recours quand tous les traitements habituels (chirurgie, radiothérapie, chimiothérapie) ont été épuisés.
Ainsi, on l’utilise pour des mélanomes, des tumeurs cutanées non mélanomes (carcinome spinocellulaire, tumeur de Merkel, sarcome de Kaposi…) et des métastases d’autres cancers notamment le cancer du sein.

Quels sont les résultats?
Pour le mélanome (fig 3), le taux de réponse complète (disparition complète des métastases) est autour de 70%. Le taux de réponse partielle (disparition partielle) est autour de 20%. Dans 10% des cas il n’y a pas d’effet. Une fois qu’une réponse complète a été obtenue, elle est bien maintenue: deux ans plus tard, le nodule n’a toujours pas réapparu dans 87% des cas.

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Fig. 3:  A gauche: multiples métastases cutanées d’un mélanome. A droite en haut: disparition partielle après 2 sessions d’électrochimiothérapie. A droite en bas: disparition quasi complète après 4 sessions d’électrochimiothérapie.

Reproduit avec la permission du Prof Alessandro Testori, directeur du Instituto Europeo di Oncologia, Milan, Italie.

Pour le cancer du sein, le taux de réponse complète, bien que inférieur à celui observé dans la cas des mélanomes, tourne néanmoins autour de 55%.  Quant au taux de réponse partielle, il tourne autour de 35%. Une fois qu’une réponse complète a été obtenue, elle est bien maintenue avec un taux de contrôle local à 5 ans de 80%.

Effets secondaires
Les effets secondaires sont limités:
-des contractions musculaires désagréables, voilà pourquoi la technique est réalisée sous narcose (anesthésie générale)
-une douleur et une inflammation minimale
-des ulcérations dans 20% des cas qui vont finir par se cicatriser
-une pigmentation ou dépigmentation légère de la zone traitée.

Recommandations internationales
L’électrochimiothérapie des tumeurs et des métastases cutanées avancées a été reconnue comme arme thérapeutique valable dans les guidelines oncologiques des institutions réputées comme le NICE, l’EORTC, l’Arbeitsgemeinschaft Gynaekologische Onkologie et  l’Arbeitsgemeinschaft Dermatologische Onkologie.

Quel avenir pour l’électrochimiothérapie ?
L’électrochimiothérapie a été réalisée en Belgique pour la première fois en mai 2012 au CHIREC (Clinique du Parc Léopold), qui est toujours un des seuls hôpitaux en Belgique à offrir cette technique. Le CHIREC Cancer Institute veut investir dans cette technique qui offre un nouvel espoir aux patients atteints d’un cancer de la peau ou du sein à cours de traitement. En plus, elle s’applique également avec succès aux tumeurs inopérables de la tête et du cou qui ne répondent plus à la radiothérapie et à la chimiothérapie. Une nouvelle génération d’électrodes est en train d’être développée pour traites des tumeurs plus ‘profondes’ comme des tumeurs inopérables du foie ou des poumons.

Conclusion
L’électrochimiothérapie est un tout nouveau traitement qui pourrait être envisagée pour des métastases cutanées ‘dépassées’, avec des taux et durées de réponse intéressants et avec peu d’effets secondaires. Elle peut être répétée et elle est applicable même en zone irradiée.

Comme pour toute nouvelle technique plusieurs études sont en cours pour encore mieux évaluer les résultats de cette technique.

Dr Stefaan Mulier, Dr Olivier De Lathouwer, Dr Jean-Pierre Claes  CHIREC Cancer Institute