Docteur, avez-vous fait des biopsies lors de ma gastroscopie?

Sur base d’une revue exhaustive de la littérature, l’ American Gastroenterological Association vient d’établir des recommandations pour la pratique des biopsies chez des patients adultes qui ont une endoscopie digestive haute normale et qui souffrent de dyspepsie (1).

Définie selon les critères de Rome III, la dyspepsie recouvre les symptômes suivants : brûlures épigastriques , satiété précoce, pesanteur épigastrique , ballonnement en l’absence  de signes d’alarme (dysphagie, anémie, hémorragie, amaigrissement).

Faut-il biopsier systématiquement l’oesophage, l’ estomac et le duodénum en l’absence de lésions ?
Oesophage :
– en cas de reflux gastro-oesophagien sans lésion muqueuse, les minimes altérations microscopiques mises en évidence n’ont aucun impact sur la prise en charge thérapeutique et les biopsies systématiques ne sont donc pas recommandées.

– la recherche d’une oesophagite à éosinophiles chez un patient dyspeptique et sans lésion endoscopique n’a pas d’intérêt (2). Cette affection doit être recherchée sur un patient jeune avec un contexte allergique, avec une dysphagie ancienne sans retentissement sur l’état général et avec un ou plusieurs épisodes d’impaction alimentaire et un éventuel pyrosis.

L’endoscopie est anormale dans 80 à 90 % des cas : sténose non franchissable, sillons longitudinaux, aspect pseudo-trachéal , dépôts blanchâtres, décollement muqueux lors des biopsies. L’ aspect endoscopique étant normal dans 10 à 20% des cas, il faut réaliser des biopsies oesophagiennes systématiques en cas de dysphagie, ce qui nous éloigne du patient dyspeptique. Il est recommandé d’effectuer 2 à 4  biopsies à 2 niveaux différents, idéalement au niveau de l’oesophage proximal et distal. Le diagnostic histologique repose sur la présence de > 15 éosinophiles par champ.  Pour différencier cette affection d’une gastro-entérite à éosinophiles ou d’un syndrome hyperéosinophilique, des biopsies antrales et fundiques doivent aussi être réalisées. Vu le rôle possible du reflux gastro-oesophagien sur une infiltration à  éosinophiles, il est conseillé de faire de nouvelles biopsies après 2 mois de traitement par inhibiteurs de la pompe à protons (IPP) à fortes doses.

Cette recommandation n’est pas valable chez l’enfant où la dyspepsie peut être le seul signe de la maladie et la pratique de biopsies oesophagiennes systématiques est donc recommandée.

– l’oesophage de Barrett ou endobrachyoesophage s’observe chez 5 à 10% des patients souffrant d’un reflux gastro-oesophagien et représente un terrain pré-cancéreux qui justifie des biopsies systématiques selon le protocole de Seattle ( 1 biopsie par quadrant tous les 2 cm de hauteur en pots séparés) avec un rythme de surveillance en fonction des lésions ( métaplasie intestinale, dysplasie de bas grade ou de haut grade ).

Les biopsies systématiques de la jonction des muqueuses (ligne Z) en cas de reflux gastro-oesophagien pour dépister une métaplasie intestinale du cardia sans traduction endoscopique ne sont pas recommandées. Une seule étude de cohorte a comparé le risque de cancer chez des patients ayant soit un Barrett > 1 cm , soit de la métaplasie intestinale à la jonction oeso-gastrique : il était respectivement de 7% vs 0% à 10 ans.

– le dépistage de lésions néoplasiques oesophagiennes (adénocarcinome ou carcinome épidermoïde) en cas d’endoscopie normale doit être réservé à des populations à risque (cancer ORL) et peut-être facilité par la coloration au Lugol ou les chromoendoscopies virtuelles.

– ces recommandations sont les mêmes en cas de tableau dyspeptique chez un sujet immunodéprimé en l’absence de lésions muqueuses.

Estomac :
Chez un patient dyspeptique sans lésion de la muqueuse gastrique , des biopsies doivent être réalisées pour le recherche d’une infection à Helicobacter pylori (HP) et la détection de lésions prénéoplasiques (atrophie ou métaplasie intestinale).

Des études randomisées (3) ont montré que l’éradication de l’HP peut améliorer la symptomatologie du patient dyspeptique  et réduire le risque de cancer gastrique.

Il est conseillé de réaliser 5 biopsies selon le protocole de Sydney (petite courbure et grande courbure antrales ; petite courbure et grande courbures fundiques, région angulaire) après arrêt des IPP depuis 15 jours et des antibiotiques depuis 1 mois .

Les patients avec une gastrite chronique atrophique ou une métaplasie intestinale peuvent être définis comme des sujets à haut risque d’adénocarcinome gastrique et plus spécialement ceux avec une atteinte extensive antrale et fundique (4).  Dans ce cas, une surveillance endoscopique tous les 3 ans est actuellement recommandée.

L’éradication de l’HP peut partiellement faire régresser la gastrite atrophique.  En cas de métaplasie intestinale, l’éradication de l’HP ne fait pas régresser celle-çi mais peut ralentir son évolution vers la dysplasie de haut grade ou le carcinome.

En l’absence de lésions endoscopiques, les dysplasies doivent être suivies à 6 mois ou à 12 mois selon qu’elles soient de haut grade ou de bas grade. Les dysplasies de haut grade confirmées doivent faire l’objet d’une résection endoscopique ou chirurgicale.

Même si l’intérêt de la surveillance endoscopique est plus débattue dans ces circonstances, il convient de réaliser des biopsies en cas de gastrectomie pour ulcère 15 à 20 ans après la chirurgie et en cas d’anémie de Biermer.

Les recommandations sont les mêmes chez le sujet immunodéprimés.

Duodénum:
La maladie coeliaque est associée à un risque accru d’ostéoporose , de cancer ou de manifestations autoimmunes dont l’incidence diminue sous régime sans gluten. Poser le diagnostic a donc un impact clinique certain. Les signes endoscopiques ( effacement des plis , aspect en mosaïque ) manquent de sensibilité et de spécificité et l’endoscopie peut être strictement normale chez un patient coeliaque.

La prévalence (de 0.8 à 1%) de la maladie coeliaque chez un sujet ayant une dyspepsie n’est pas différente de celle observée dans la population générale pour laquelle le dépistage systématique n’est pas recommandé.  L’ American Gastroenterological Association recommande de pratiquer des biopsies duodénales chez les sujets à risque ( ostéoporose, retard pubertaire, fausses couches répétées, élévation inexpliquée des transaminases, ataxie, diabète de type 1, affections auto-immunes thyroïdiennes, anémie ferriprive inexpliquée, positivité des anti-corps circulants). Il est recommandé de réaliser 6 biopsies: 4  dans le duodénum et 2 dans le bulbe à la recherche des signes histologiques ( atrophie villositaire, augmentation des lymphocytes intra-épithéliaux, hyperplasie des cryptes).

Des cas d’infections opportunistes ayant été rapportées chez l’immunodéprimé en l’absence de lésions muqueuses, il est raisonnable de pratiquer des biopsies duodénales systématiques chez l’immunodéprimé.

En l’absence de lésions muqueuses, les biopsies systématiques de tous les segments du tube digestif supérieur ne sont donc pas recommandées chez le sujet qui consulte pour dyspepsie.

Vu son impact clinique, la recherche de l’HP et des lésions précancéreuses restent une indication essentielle de réaliser des biopsies en respectant le nombre et les conditions optimales de prélèvement.

Dr Marc Van Gossum
Gastro-Entérologue
Clinique de la Basilique

Références
(1) Yang et all. Gastroenterology 2015 Aug 14. pii : S0016-5058(15)01065-3
(2) Zerbib F.  Hepato-Gastro et Oncologie digetsive vol.20 n°8, octobre 2013
(3) Moayyedi P et all. Cochrane  Database Syst Rev 2006 ; 2:CD002096
(4) Herebach D.   Acta Endosc. (2012) 42:212-2014